Ca y est, la barre des 1000 kilomètres est passée, juste avant notre arrivée, demain, à Saint-Dizier, dernière ville de ce tour du monde de la Haute-Marne. Cette aventure est sur le point de s’achever, les visages de toutes les personnes rencontrées défilent déjà dans nos mémoires, mais nous restons concentrés sur la journée qui nous attend demain, au nord de la Haute-Marne, que nous serpentons depuis maintenant vingt-six jours.

9h. Nous quittons les Picheneilles Anne et Fabien, de la Metallerie Rodriguez, et nous dirigeons vers les lacets de Melaire pour rallier Thonnance-lès-Joinville. En empruntant ces lacets, il est difficile de s’imaginer encore en Haute-Marne. C’est la petite Suisse haut-marnaise et, à une quinzaine de lacets près, on se croirait à l’Alpe d’Huez. Le Tour de France ne passe pas par ici, sans doute ont-ils peur. Les trous engendrés par les minières de fer sont encore visibles et font la joie des amateurs de VTT qui viennent parfois de loin pour en profiter.

lacets de melaire

9h45. Surprise à Thonnance-lès-Joinville, Sylvain Templier, député de Haute-Marne, nous rejoint, en compagnie de Claire, sa collaboratrice. Sylvain nous fait l’amitié de passer une partie de la journée avec nous, en vélo.

10h. Nous arrivons au Moulin aux écrevisses. Jade et Jérôme ont repris le moulin, qui est un élevage d’écrevisses mais également chambres d’hôtes, le 14 août en provenance du Gard ; c’est donc un emménagement tout frais et une reconversion inédite pour le couple. L’activité débutant, il y a des travaux à prévoir pour ouvrir les chambres d’hôtes dès janvier : remise au goût du jour de celles-ci, rendre étanches les étangs des écrevisses à pattes rouges, refaire la signalétique, créer des synergies, etc.

10h50. Après un (deuxième !) petit-déjeuner, nous découvrons l’élevage, un des deux seuls en France. Il y a 8 écrevisses par m2. Il n’est pas aisé de les voir au premier abord car elles se cachent dans des briques mises dans les bassins, sorte d’hôtels à écrevisses, et sortent la nuit. Toutefois, afin que nous puissions les observer, Jérôme soulève une brique et elles sortent. Il ne leur donne pas d’alimentation, elles se contentent des algues se développant dans l’eau. Les écrevisses se reproduisent à partir de la troisième année et peuvent pondre 300 oeufs. C’est donc un animal qui coûte assez cher, mais cela se comprend étant donné le temps nécessaire pour qu’il puisse atteindre sa maturité. Les écrevisses, qui peuvent vivre jusqu’à une douzaine d’années, sont vendues vivantes ; pour la restauration c’est un produit qui se consomme frais, mais elles peuvent aussi être vendues à des chercheurs, aquariums, pour le repeuplement, etc.

une écrevisse

11h15. Nous ressortons des bassins couverts et marchons le long des étangs situés à l’extérieur. Sylvain Templier remonte une nasse contenant 3 écrevisses et les libère en député magnanime. Celles-ci se replient doucement vers leurs briques.

11h40. Nous voyons une écrevisse qui vient de muer. Cela se produit 1 à 3 fois par an. Elle quitte alors sa carapace dans son intégralité, des pinces à la queue en passant par la tête. Évidemment, plus la mue est longue, moins les chances de survie sont importantes, puisqu’elle est alors vulnérable et donc à la merci des autres écrevisses qui pourraient la manger. Sa carapace se reconstitue grâce aux gastrolites, des cailloux blancs, sources de calcaire, que l’écrevisse libère afin de faire durcir sa prochaine carapace. Le moulin possède une belle surface et les propriétaires ont suffisamment d’idées pour valoriser le lieu et faire profiter de cet élevage et lieu original au plus grand nombre.

12h. Nous quittons le moulin et faisons une centaine de mètres pour atteindre Les Jardins de mon Moulin, classés Jardins Remarquables. Ces jardins ouverts en 2003 comptent, entre autres, 900 variétés de pivoines, la collection nationale la plus importante de France. 4 000 visiteurs viennent aux jardins chaque année, une bonne partie venant de l’étranger et notamment des Pays-Bas, Belgique, Allemagne, etc. Philippe, d’origine parisienne, est tombé sous le charme de la Haute-Marne il y a plusieurs décennies pour le calme, le cadre, l’accessibilité. Il souligne lui aussi qu’avec l’essor du télétravail, le département a une énorme carte à jouer pour attirer des personnes qui travailleront parfois en dehors du département, mais qui vivront ici. Les personnes venant de l’extérieur du territoire et qui le choisissent sont décidément ses meilleurs ambassadeurs.

les jardins de mon moulin

Il regrette que, pour le bien du tourisme dans le département, le pass tourisme 52 ne soit plus disponible en version papier mais qu’en version numérique. Nous avons entendu cette remarque à plusieurs reprises, et il est vrai que la version papier permettait d’être trouvable facilement, conservée, feuilletée et donc utilisée plus facilement. Il déplore également que les petites structures ne soient pas assez soutenues.

13h50. Nous marchons à travers les différents jardins, tous somptueux bien que la saison touche à sa fin. Les jardins sont tous variés mais il n’y a pas rupture entre eux, tout est harmonieux. Des chaises et coins ombragés sont également régulièrement disposés. Ils ont tout fait seuls, ce qui impressionne encore plus au vu de la perfection de l’endroit. D’ailleurs l’endroit est tellement beau que « quand un jeune couple vient dans les jardins, l’année suivante ils reviennent avec une grossesse ».

les canards des jardins de mon moulin

14h30. Des oies nous suivent dans les allées.

14h45. Nous laissons Philippe et prenons la direction de Vecqueville, sous un magnifique soleil et le long du canal.

15h. Nous arrivons à l’usine Ferry-Capitain, producteur de ferronnerie industrielle. Christian, le directeur, nous accueille dans la structure familiale employant 330 personnes ici. À l’origine, l’usine fondait et vendait du métal (la Haute-Marne étant alors le premier bassin industriel français car les collines contenaient du minerai de fer, les forêts étaient abondantes, les cours tels que la Marne et la Blaise suffisaient à produire l’énergie nécessaire). Une fonderie spécialisée dans les grosses pièces d’engrenages fut développée, les pièces furent usinées, de plus en plus imposantes, parmi les plus grandes du monde, jusqu’à 16 mètres de diamètre, pour le secteur minier comme pour des broyeurs. Des systèmes de transmission sont désormais également réalisés. 85 % des pièces sont exportées, car le secteur minier n’est pas le plus florissant en France. L’usine est la première fonderie d’Europe certifiée concernant les normes environnementales. Les grosses pièces de fonderie et les pièces pour l’aéronautique sont également produites aujourd’hui. Chez Ferry-Capitain il est possible de couler 70 tonnes de métal en une seule fois. Seule 2 usines ont cette capacité en France. L’accent est mis sur la tradition familiale du groupe, il est inconcevable pour la famille de délocaliser puisque depuis 200 ans, Joinville est leur lieu de résidence et Vecqueville est leur site de production. Ils sont attachés à leur terroir et se battent pour continuer à produire en France, malgré le fait que la France n’aime pas spécialement l’industrie et ce qui s’y rattache…mais cela est en train de changer, le fabriqué en France était le passé mais c’est aussi le présent et l’avenir. La recherche et développement est aussi mise en avant.

ferry capitain

Pour garder les meilleurs employés, la formation est assurée en interne, notamment via l’apprentissage. Il arrive qu’un jeune sans diplôme soit formé en interne pour devenir ingénieur. C’est vital lorsque chaque pièce vaut des centaines de milliers d’euros et qu’une erreur peut rendre la pièce inutilisable. Pour cela, la main d’oeuvre représente 45 % du coût du produit. L’établissement a été reconnu comme étant membre du patrimoine vivant mais également entreprise du futur, ce qui est original et est évidemment source de fierté.

15h30. Nous visitons l’usine avec Christian. Tout ici est hors du commun. Les températures (la fonte est coulée à 1300°C et l’acier à 1600°C), les dimensions des machines, les formes des moules, les quantités de sable, les couleurs de celui-ci recouvrant tout et donnant un aspect grisâtre à tout ce qui se trouve ici. On voit à chaque étape le savoir-faire incroyable des ouvriers, d’une précision et d’un professionnel à souligner. Des années de pratique sont nécessaires pour maîtriser chaque compétence, la pérennité de l’usine passe par l’humain. La preuve avec le mot final du directeur de l’usine, qui nous signale qu’il ne fait pas partie de la famille Ferry ni de la famille Capitain ; on aurait pu le croire pourtant, tant on le sent attaché à son usine, son métier, ses salariés. Le sentiment d’appartenance est donc très fort ici.

16h50. Claire, collaboratrice du député Sylvain Templier, repart en voiture pour Chevillon alors que Sylvain nous suit, nous dépasse même, en vélo. Nous nous quittons le long du canal, ravis d’avoir pu échanger avec ces deux passionnés du département.

17h45. Nous arrivons chez Kevin et Sergine. Kevin me fait découvrir son entreprise de livraison d’empanadas et de produits argentins VAMOS Empanadas. Ayant vécu en Argentine, c’est avec émotion que je regarde ses trouvailles.
Il me montre ses bouteilles de Fernet-Branca (que les Argentins consomment avec du Coca-Cola), du dulce de leche (confiture de lait), du maté (sorte de thé indispensable en Argentine et dans d’autres pays d’Amérique du Sud, héritage des Guaranis), des alfajores (pâtisserie populaire composée de 2 ou 3 couches de biscuits, et d’un remplissage de chocolat ou dulce de leche, le plus souvent), des bières (la célèbre mais pas terrible Quilmes mais également les Patagonia, méconnues en-dehors du pays malgré leur excellente qualité), du vin rouge (Malbec, forcément, les Argentins en raffolent). Kevin est expert en empanadas, qu’il livre du vendredi au dimanche. Ce sont des spécialités argentines, et chaque province du pays en possède des spéciales. Ces chaussons peuvent être fourrés à la viande de bœuf, poulet, au fromage, aux épinards, au maïs, aux oignons, etc. On les trouve absolument partout en Argentine, dans chaque restaurant, bar, kioskos (sorte de kiosques à journaux vendant un peu de tout), etc. Kevin a su recréer un petit bout d’Argentine en Haute-Marne, c’est magnifique. Il nous concocte d’ailleurs un repas argentin avec alcools argentins et diverses empanadas.

En extrapolant, la Haute-Marne me rappelle à maints égards l’Argentine. Des terres d’affamés de viande, de nature, de grands espaces, de culture. Deux anciennes contrées à l’identité multiple et au passé glorieux, mais mises de côté. Le prestige d’anciennes demeures, manoirs, châteaux côtoyant friches industrielles, bâtiments abandonnés et hangars agricoles inusités. L’industrie et l’agriculture comme fers de lance du territoire, secteurs si souvent raillés à l’heure de la mondialisation et du règne des services mais redevenus primordiaux aujourd’hui avec le phénomène de relocalisation. Des habitants fiers, habitués à être délaissés, se construisant à l’écart des circuits médiatiques, mais sachant prendre leur destin entre leurs mains afin d’insuffler un souffle nouveau à leur territoire, monde oublié en plein renouveau.

Demain, des arrêts sont prévus à Fontaine-sur-Marne, Roche-sur-Marne et Saint-Dizier.

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