Le Caprice des Dieux, fromage vendu dans le monde entier, est Haut-Marnais ! Encore une preuve, s’il en fallait, que le monde entier est rattaché, de près ou de loin, à la Haute-Marne…

9h15. Nous partons d’Hâcourt. Nijon, au pied de La Mothe, est notre première étape du jour. Ici, nous ne sommes pas très loin de Damblain et de sa zone d’activité, ou plutôt zone en quête d’activité depuis des années, visant jusqu’à 1500 emplois sur site. Le parc d’activités Cap Vosges fut créé en 2013 entre la Haute-Marne et les Vosges. Avec cette zone, les autorités souhaitaient accueillir des sociétés travaillant dans les secteurs de la logistique ou de l’industrie, en mettant en avant l’emplacement idéal du site, situé à moins de cinq kilomètres d’un échangeur autoroutier. L’A31 permettait en effet d’aller de Rotterdam à Marseille en passant par la Belgique, le Luxembourg, Dijon et Lyon. C’est une terre qui attend son heure depuis longtemps mais qui garde espoir. L’est de la Haute-Marne, un espace traversé plutôt que visité ou habité, alors qu’il pourrait être un nœud logistique majeur de par sa position au cœur de l’Europe de l’ouest.

France nous attend au Potager Fleuri de Lalie, et nous la rejoignons tandis qu’elle échange avec le maire délégué de la commune. Elle a ouvert son potager fleuri en 2011, suite à une reconversion. Après avoir travaillé dans un garage, elle est la preuve que l’on peut se reconvertir et devenir une force motrice pour son territoire en défendant un mode de consommation sain et de proximité, tout en respectant ses valeurs et ses engagements. France est un bon exemple de dynamisme local, tentant d’animer le secteur avec des ateliers, événements, car « si on ne fait rien, on meurt ». Les clients viennent directement sur l’exploitation. C’est une clientèle locale, peu vosgienne car les Vosgiens vont davantage à Neufchâteau. Elle vend également sa production sur le marché de Bourmont et Au Petit Local dans la même commune. Nous constatons que la restauration collective a un peu de mal à travailler avec les producteurs locaux. Pourtant, avec la loi Egalim, cela est amené à changer. Nous nous rendons compte que le fameux monde d’après post Covid où les Français étaient censés consommer local est passé ; ils ont déjà repris leurs habitudes en retournant dans les centres commerciaux. France tente de faire prendre conscience aux locaux qu’il est bon de revenir à la production de proximité, dans ce cadre magnifique dominé par les collines du Bassigny.

10h40. Nous reprenons les vélos, affrontons le vent qui nous frappe, que nous allions vers le nord, le sud, l’est ou l’ouest, à croire qu’il complote pour nous embêter. Nous traversons un paysage vallonné et vert, et sommes accueillis par Lucile à la Divine Fromagerie d’Illoud, où j’ai travaillé. La fromagerie emploie 450 personnes. Aux alentours, il n’est pas rare de passer par des villages où la majorité des actifs sont salariés de la fromagerie. Père, fils, voisin, camarade de classe, tout un monde s’y retrouve. Lucile commence par nous faire visiter la boutique du groupe Savencia, groupe familial français et deuxième transformateur de lait français, qui a débuté à Illoud il y a près d’un siècle. Le groupe possède les marques Caprice évidemment (numéro un des croûtes fleuries), Etorki, Saint Agur, Saint Moret, Tartare, Cœur de Lion, mais également Coraya, La Maison du Chocolat, Bordeau Chesnel, etc. Le lait, récolté il y a moins de 48 heures, provient de 220 fermes installées dans un rayon de moins de 70 kilomètres d’Illoud. Le Caprice des Dieux est exporté dans 120 pays. Seuls les Caprice des Dieux 300 grammes sont fait à Angers, pour ne pas que le site soit saturé. Deux Caprice des Dieux sont vendus chaque seconde dans le monde.

La Divine Fromagerie, complexe regroupant la fromagerie, des salles de séminaires et d’expositions ainsi que le musée interactif (adapté aux enfants et aux handicapés), a été inaugurée en 2016. 11 000 personnes par an viennent dans la boutique et le musée. Le musée présente, à travers une scénographie travaillée, l’historique du Caprice des Dieux, mais replace également le produit dans son époque et montre les évolutions sociétales ayant entraîné des changements dans la stratégie de marque et la communication. Cela permet de comprendre les différentes publicités que nous avons connu, jusqu’au fameux « Caprice à Deux » ou la campagne filmée en Patagonie chilienne par Guillaume Canet, « La rencontre ».

12h20. Nous déjeunons chez les Régnier, des Gars Régnier, à Saint-Thiebault.

14h20. Nous grimpons le Pâquis et arrivons en haut de Bourmont, petite cité de caractère et « Mont Saint Michel des campagnes ». Tandis que nos mollets souffrent, le village nous observe, nous narguant de ses deux églises. Chloé, chargée de patrimoine à la commune de Bourmont, nous attend à la mairie. Retour en arrière : Bourmont fut une marche du duché de Lorraine. Après la Guerre de Trente ans et suite au siège de 1645, la citadelle de La Mothe, ville la plus puissante de Lorraine après Nancy, fut rasée sur ordre de Mazarin. Les habitants fuirent et vinrent à Bourmont, qui pris alors de l’ampleur. Le bâti du haut de la commune date des XVI, XVII et XVIII èmes siecles. La maison Renaissance nous frappe par son histoire. Elle a appartenu au Bailli de Bourmont et La Mothe, devenu procureur général de Lorraine et fut construite au XVI ème siècle. Une partie du bâtiment devint auditoire de justice. L’édifice est aujourd’hui en attente de diagnostic avant d’être rénové… et utilisé afin de valoriser ce patrimoine exceptionnel en danger.

15h30. Nous grimpons jusqu’à l’église Notre-Dame de Bourmont, monument historique. L’état des tableaux, statues, vitraux ou bancs est alarmant, alors que le bâtiment est magnifique et ce qu’il contient précieux culturellement et historiquement.

15h40. Nous empruntons la promenade du Côna et contemplons les magnifiques tilleuls du XVIII ème siècle. Le panorama sur la vallée vaut les quelques centaines de mètres de marche. Nous laissons le calvaire, érigé au XVII ème siècle, et arrivons au Parc des Roches.

15h50. Le Parc des Roches, Jardin Remarquable, est un lieu atypique et onirique, faisant davantage appel aux sens qu’à la logique. C’est un labyrinthe de pierres, reliefs, arbres, mousses, des escaliers menant nulle part et des chemins menant partout, nous suivons Chloé et observons un amphithéâtre qui sera rénové et une paroi rocheuse où deux femmes font de l’escalade. Le site est original aussi de par son histoire, ancienne carrière de pierres devenu lieu romantique faisant appel à l’imagination.

16h40. Notre dernière étape de la journée nous mène à Vroncourt-la-Côte. Un tiers du village nous attend, quel accueil de stars ! Il faut dire que le village ne compte que 25 habitants, nous relativisons donc. Le village est célèbre pour être le village natal de Louise Michel, la vierge rouge, figure de la Commune de Paris de 1871… et pour être le village où je fus baptisé. Alors que Paris célébrait il y a quelques mois les 150 ans de sa Commune, nous nous devions de passer ici, symbole de la fierté haut-marnaise et de notre propension à ne pas nous laisser faire. Mais Louise Michel représente bien plus que la rébellion, elle incarne aussi la solidarité de notre territoire, à travers les écoles qu’elle fonda à Audeloncourt et Millière et, allons plus loin, une figure du féminisme avant l’heure. Une citation nous marque « vous êtes des hommes, et moi, je ne suis qu’une femme, et pourtant, je vous regarde en face ». Elle se battit pour les femmes, l’égalité des salaires, l’éducation pour tous, les animaux, contre la prostitution, contre le mariage arrangé, etc. Elle était plus qu’une militante, elle était le militantisme.

Gisèle Ladier, la maire, nous raconte qu’en 1972, lors de l’inauguration de la stèle dédiée à l’enfant du pays, 800 personnes vinrent à Vroncourt-la-Côte et chantèrent L’Internationale, oeillets rouges aux boutonnières, déposant des fleurs rouges au pied du monument voilé d’un voile… rouge, évidemment. Des anarchistes dans le Bassigny, cela devait détonner. Louise Michel, fille de la bonne du château de Vroncourt-la-Côte et du châtelain, possède aussi un buste à son effigie au centre du village, sculpté par Riekus, artiste du village, situé à côté du terrain de pétanque où d’autres habitants jouent tandis que Gisèle se remémore son arrivée dans le village. Elle nous montre ensuite le musée dédié, situé dans l’ancienne école de Louise Michel. Petit clin d’œil pour notre tour du monde de la Haute-Marne, Louise Michel fut emprisonnée à l’abbaye d’Auberive, où nous avons commencé notre aventure.

17h30. Pour finir, les habitants nous invitent à un goûter, afin d’échanger au sujet de notre périple et du Bassigny. Le décapsuleur a été oublié mais pas de panique, les années d’expérience des habitants dans le domaine du décapsulage leur font utiliser ce qu’ils trouvent et nous pouvons nous désaltérer tous ensemble. Nous apprenons que 5% des habitants sont ici centenaires, ça doit être l’air anarchiste qui conserve.

17h50. Nous entrons dans l’église et admirons des œuvres de Riekus, qui nous explique son travail, puis entrons dans son atelier. C’est toujours un moment fort que le fait d’entrer dans l’atelier d’un artiste. Dans une vieille grange rénovée, sur deux étages, nous déambulons au milieu d’oeuvres contemporaines. Avec un cigare à la main, il nous explique avec son français à l’accent hollandais les messages glissés dans quelques-unes de ses oeuvres. La Haute-Marne inspire, ce n’est plus à prouver.

20h. Serge, le cordonnier de Saint-Thiebault, vient livrer mes chaussures réparées. De quoi finir ce tour.

Demain, des arrêts sont prévus à Goncourt, Lafauche et Orquevaux.

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