Tout commença à Chalindrey il y a 2 semaines. Christian, croisé sur notre chemin, nous conseille d’aller à Blumeray afin d’y rencontrer un certain Bob, légende locale dans une commune non moins atypique. Blumeray posséderait, dit-on, une atmosphère originale, quelque chose de spécial dans l’air que nous devions sentir. Nous sommes allés vérifier.
8h40. Catherine et David des chambres d’hôtes Blumerêve sont depuis longtemps debout lorsque nous arrivons dans la cuisine. David nous prépare des crêpes. Il aurait effectué un stage commando de 3 semaines à Saint Cyr pour apprendre à maîtriser cet art. Il excelle il est vrai dans cette cuisine. Nous sommes en retard pour rencontrer le mythique Bob dont nous parlions hier et pour qui nous sommes venus dans cette commune ; David nous le présente comme étant un de ses amis, son complément d’objet direct même.
9h12. Victor, « épais comme un filet de vinaigre » selon David, nous mène chez le célébrissime habitant. « Blumeray le dimanche matin c’est calme ». Ça ne va pas durer.
9h15. Nous entrons chez Bob, la porte d’entrée est ouverte, c’est apparemment toujours le cas, c’est même sa marque de fabrique, tout le monde est ici le bienvenu. Le prénom du légendaire villageois est indiqué sur le mur de sa maison, 3 lettres sur un carrelage à côté de la porte. Son prénom n’est même pas Bob, il ne sait d’ailleurs pas d’où ce surnom lui vient. Il a entre 70 et 84 ans d’après David. Quel personnage mystérieux. Il nous attend, assis dans sa cuisine, l’oeil rieur. On sent très vite que nous n’allons pas être déçus du voyage. Première surprise, après un mètre « y a des pièces dans le carrelage car j’avais trop de sous et je savais pas quoi en faire ». Bob nous demande quelles sont les nouvelles. Nous lui expliquons ce que nous faisons là, il rit. Il commence à évoquer quelques anecdotes locales et entre dans le vif du sujet, puisque le sujet c’est lui. Nous le suivons dans la maison et tombons sur une statue de Jeanne d’Arc portant un casque d’aviateur, des souvenirs de Madagascar et plusieurs photos de lui avec des personnalités de France Culture. Une émission de radio de France Culture était tournée chez lui tous les 6 mois. Il arrive que des émissions soient encore tournées ici. Il nous confie qu’il est amateur de comtoises, mais il en a moins désormais. Il se remémore un souvenir : il avait un jour placé des comtoises dans tout le village et en avait fait le tour, un peu comme le tour de France, mais en plus petit. On sait s’amuser à Blumeray.
9h45. Bob sort 4 bouteilles de goutte, « j’ai de la goutte parce que quand je répare des horloges les gens me payent avec ça ». Il est vrai qu’à 9h45, nous n’attendions que ça. Il nous raconte sa vie en Argentine, où il a passé 13 ans entre Tucuman et Buenos Aires. Évidemment, le sujet me passionne, j’ai vécu dans ce pays et les villes, mœurs et sons racontés me parlent. Bob a bourlingué. Il a même fait le trajet entre les villes de Tucuman et de Santa Fe, soit plus de 800 kilomètres, en moissonneuse batteuse. Il avait également ouvert dans le même pays une station service, sans essence ; il s’est alors mis à faire à manger pour les routiers, « on leur faisait à manger parce qu’il fallait bien qu’on bouffe nous aussi ».
10h. Nous faisons un tour au bistrot du brocanteur, de Gérard. Des habitués sont déjà au comptoir dans une ambiance bon enfant, Théo chine et nous allons voir les cochons de Nouvelle-Zélande dans l’arrière cour.
10h20. Victor nous mène à une répétition de pièce de théâtre sur la chronique, à Cirey-sur-Blaise. Henri-Pierre Jeudy est là. Nous rions ensemble, le moment était surprenant mais bien agréable.
11h. Nous rentrons, allongés dans la voiture, à Blumeray. Il devient difficile de se mettre debout.
11h25. Retour chez Bob avec David et Victor. Bob sort une bouteille de bière locale du Pas-de-Calais et une bouteille de vin et les tend à David : « ouvre-la bordel ». Une voiture passe, klaxonne ; ils n’ont pas eu le temps de voir qui était le conducteur mais, au son du klaxon, savent que c’est un habitant d’ici. Ils les reconnaissent tous. C’est un code, un peu comme l’étaient les signaux de fumée chez les Indiens. Un coup, c’est une simple salutation. 2 coups veut dire que l’automobiliste revient pour l’apéro. 3 coups signifie qu’il y a un train à prendre. Il faut dire qu’à Blumeray, on ne s’envoie pas de SMS, on va chez l’habitant, on klaxonne devant sa maison et on attend. Ici tout le monde se connait, on s’entraide, on s’invite, on se soutient. Comme dirait Christian, il y a quelque chose de différent ici. Bob sort une bouteille de vin blanc. Il propose de manifester pour que les feuilles des arbres ne tombent plus en automne, pour qu’il fasse soleil et pour que la nuit ne tombe pas si tôt en hiver. On nous raconte qu’un jour, un inuit est venu ici et est tombé de son vélo car ne savait pas en faire.
12h. Christian, l’homme par qui l’histoire a débuté à Chalindrey, nous rejoint chez Bob avec du pain. Il nous montre une des cartes postales reçues par Bob, envoyées simplement à l’adresse « Bob 52110 ». Apparemment, « dès que le facteur reçoit quelque chose de bizarre, ça finit chez Bob ». Pourtant, sa boîte aux lettres sert aussi de cendrier à David.
13h39. David observe Bob manger son pain avec entrain et dit : « il est pas venu là déguisé en salade pour se faire bouffer le cul par un lapin ».
14h. Bob amène un gâteau fait maison. La moitié de celui-ci reste collée au plat. David lui dit que son stage chez Pierre Hermé ne lui a pas été très bénéfique.
14h17. Bob nous dédicace un livre écrit sur sa vie d’une inscription « PIB » mystérieuse. Cet homme secret aime décidément entretenir le mystère autour de sa personne. Un personnage de roman. Bob, c’est la métaphore du voyage. Peu importe la destination, on suit un chemin en fonction des rencontres, on arrive quelque part un peu par hasard et on en repart bien plus satisfait que si on avait atteint le point que nous avions en tête au départ. C’est ça l’aventure, il faut se laisser porter pour ne pas rater ce que la vie a à nous offrir. Bob est en ce sens l’aventure de notre tour du monde de la Haute-Marne.
15h. Nous continuons notre route en direction du Paradis à Sommevoire, capitale mondiale des pièces décoratives en fonte, accompagnés par Victor. Arrivés sur place, nous suivons Bruno et Jean-Georges nous montrer la structure et son histoire, photos et dessins à l’appui. Rappel historique pour comprendre le lieu et le nord du département : en 1860, la Haute-Marne était le premier producteur de fonte et fer en France. En effet, le nord du département possédait de l’eau, du minerai et du charbon. Puis les bassins lorrains prirent le dessus. Ici, à Sommevoire, la spécialité est la fonte décorative et artistique. À l’époque, les fondeurs ont voulu faire des statues en fonte, auparavant en bronze, car cela était 2 ou 3 fois moins cher. Cela pouvait servir pour faire des bustes, décors de jardin monumentaux, fontaines… Des pièces célèbres sont sorties de cette fabrique : l’éléphant que l’on retrouve devant le Musée d’Orsay à Paris, les fontaines de la place Royale à Barcelone, les pégases sur le pont Alexandre III à Paris, des statues à Philadelphie, Mexico, Édimbourg, etc. Les fontaines Wallace ont également été produites ici, de même que les kiosques parisiens et les entrées de métro qui marquent forcément l’esprit de quiconque a vécu à Paris. Petite anecdote historique : Bartholdi, le fameux sculpteur de la statue de la liberté et de la statue Diderot de Langres que Théo admire 5 fois par jour depuis 24 ans, a travaillé ici et a sculpté des modèles.
15h20. Nous entrons dans une pièce où des dizaines et des dizaines de statues religieuses en plâtre nous contemplent, blanches, ayant servies de modèles pour fabriquer les fonds modèles. Nous apprenons que le nom « Paradis » provient de l’endroit où l’on stockait ces fonds religieux. En effet, la salle de moulage pouvait être assimilée à l’enfer, mélange de sable noir, bruit, chaleur, lieu difficilement supportable que les ouvriers quittaient pour un endroit plus calme, lumineux où se trouvaient les statues. Les Compagnons de Saint-Pierre, association créée en 1978, ont permis de sauvegarder ces fonds Antoine Durenne, du nom du fondateur en 1857 des Fonderies Durenne devenues GHM (Générale d’hydraulique et de mécanique). Auparavant, ils ont sauvé l’église Saint-Pierre vouée à la destruction, leur nom provenant de cet édifice.
Désormais, GHM conserve la fonte d’art mais se focalise sur l’éclairage public. Il y a 350 employés ici, et l’entreprise a du mal à trouver des employés jeunes, le métier leur semblant trop difficile. Un constat que l’on peut aussi déplorer dans d’autres secteurs de la Haute-Marne, comme la restauration. Le travail manuel existe, la motivation moins.
17h. Nous entrons dans l’église Saint-Pierre, désacralisée et gérée par les Compagnons de Saint-Pierre, où les pigeons ont élu domicile. Des concerts de métal ont même été organisés ici.
17h10. Nous sommes arrêtés par deux habitants de Cohons lisant nos chroniques dans le JHM avec enthousiasme. Le caviar nous attend à Cohons. Mais pour l’heure, c’est le Domaine de Nully qui nous attend.
17h40. Edmond nous montre le Domaine de Nully dans la commune du même nom, un lieu difficile à résumer, qui comprend une exploitation agricole originale liant maraîchage et élevage d’animaux de races (cochons, poules, chèvres ou encore lapins de l’est de la France) devenues rares dans notre secteur. Là où le domaine innove, c’est bien évidemment pour sa partie sociale. Il organise des évènements comme des concerts, apéros, ateliers, activités gratuites telles que des tours en poneys ou des tours de manège en bois, mais aussi des marchés de producteurs gratuits pour les exposants (ayant attiré 6 800 personnes récemment, en une journée). Cela fédère et cette mise en réseau des producteurs nous démontre encore une fois les bienfaits de ce que nous avons pu voir au cours de nos étapes précédentes : à plusieurs on est plus forts. La partie bar et restauration n’est pas en reste.
Auparavant, il n’y avait rien ici. C’est devenu une sorte de tiers-lieu rural ayant peu d’équivalent selon nous. 250 bénévoles se sont portés volontaires pour animer l’endroit. Le lieu est rapidement devenu un moteur pour la vie sociale et économique locale. La restauration proposée ici est plutôt restreinte car l’accent est mis sur la qualité, le local, sur une sélection de producteurs. C’est donc un lieu que tout le monde s’approprie à sa manière, peu importe les âges, niveaux de vie, etc. Simplicité et état d’esprit sont primordiaux. Non seulement Edmond pense à tout, mais anticipe également en ayant de nombreuses idées pour développer le domaine, des conférences à des initiations à la pêche pour les enfants, des logements jusqu’à des ateliers de travail du cuir, et espère attirer 80 000 visiteurs en 2022 dans ce rêve villageois ou utopie rurale, c’est selon.
Demain, des arrêts sont prévus à Montier-en-Der et Giffaumont-Champaubert.
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2 Comments
Martine Prevot
30 Août 2021 - 9:08 amMerci de nous faire découvrir toutes les richesses de la haute Marne.
Théo Caviezel
31 Août 2021 - 10:08 pmMerci à vous de nous lire, on l'espère quotidiennement !