Jour 11, l’été est toujours porté disparu. La pluie, elle, est en revanche chaque jour un peu plus au rendez-vous de nos trajets à vélo. Aujourd’hui, nous sommes allés du petit ours brun aux daims, une journée surprenante, donc.
8h30. Nous prenons le petit-déjeuner dans la salle des trophées de l’Hôtel du Parc, à Arc-en-Barrois. Toutes ces têtes de cerfs et ces animaux empaillés ont été chassés dans la forêt domaniale. Cet ancien relais de chasse, repris en 1992 par Isabelle Jehlé, est idéalement placé ; ce fut un plaisir de se lever et d’observer au réveil par la fenêtre le château d’Arc-en-Barrois et l’Église Saint-Martin.
9h30. Nos guides de Bugnières nous attendent devant l’hôtel dans la bonne humeur.
9h45. Nous échangeons avec Louis, animateur nature du Parc National de Forêts au sujet de la structure nouvellement créée et de ses missions estivales.
9h50. Nous passons devant une des maisons dites « Renaissance » les mieux conservées de toute la région, construite en 1550 et fermée, mais qui pourrait devenir un musée. Nous continuons et arrivons au parcours de golf 9 trous d’Arc-en-Barrois, un des plus jolis de l’est de la France, situé dans un écrin vert naturel donnant presque envie de s’initier à ce sport.
10h. Nous franchissons les portes de la glacière, utilisée à partir de 1873 par le Prince de Joinville et les chasseurs pour stocker des blocs de glace prélevés l’hiver dans l’Aujon. L’endroit servait de réfrigérateur jusqu’au mois d’août, probablement pour garder le gibier. Cette glace aurait également servi pour faire des sorbets.
10h03. Une balle de golf nous frôle. Jean sans peur en rit. Les feuilles tremblent au-dessus de nous. Nous avançons avec méfiance, les gens de Bugnières mènent vaillamment la marche.
10h15. La fameuse et impressionnante machine à vapeur d’Arc-en-Barrois s’impose à nos regards perturbés par le vol des chauve-souris. Celle-ci servait au fonctionnement d’une scierie jusqu’en 1963. Jean nous offre un bref historique de l’histoire des machines à vapeur. Nous apprenons que Claude François Dorothée de Jouffroy d’Abbans, de Roches-sur-Rognon, inventa le premier bateau à vapeur à la fin du XVIII ème siècle. Encore une fierté haut-marnaise méconnue ! Nous reprenons nos vélos, direction Dancevoir.
11h30. Danièle Bour et son mari nous accueillent chez eux, au Moulin à Vent de Dancevoir, où ils vivent depuis 25 ans. Danièle dessine tous les mois depuis 1975 un épisode de Petit Ours Brun, qu’elle a co-créé avec Claude Lebrun, pour le magazine pour enfants Pomme d’Api. Elle dessine d’abord sur calque, renvoie son travail chez Bayard, puis elle peut effectuer des changements si besoin. Ses enfants sont dessinateurs et effectuent la mise en couleur depuis quelques années. La création du personnage est peu banale, puisque Danièle était habituée à dessiner des ours. Bayard lui a alors demandé de créer un personnage d’ours, devenu mondialement célèbre. Danièle a également illustré les contes d’Andersen, les fables de La Fontaine, Boucle d’or, etc. Ses créations, et notamment ses paysages ruraux, sont très inspirés de la Haute-Marne, ainsi, sans même que nous le sachions, le département était connu dans le monde entier à travers les livres pour enfants. Elle nous montre enfin fièrement des illustrations qui seront bientôt exposées dans de grandes expositions internationales. Par ailleurs, Petit Ours Brun sera l’emblème du Parc National de Forêts, à cheval entre la Haute-Marne et la Côte d’Or. C’est avec un plaisir enfantin que nous acceptons une carte dédicacée, ainsi qu’un numéro du magazine Pomme d’Api, le magazine des 3 à 7 ans. Après être retombés en enfance, nous reprenons la route pour Ormoy-sur-Aube.
12h45. Philippe Cordier, maire de Latrecey, nous parle de l’église du village et d’une nouvelle sorte de miracle. L’église est en effet spéciale car c’est seulement la quatrième en France possédant un toit en tuiles photovoltaïques. Le toit, rénové en 1949 par le grand-père de Philippe, devait de toute façon être réparé. La décision a été prise de poser ces tuiles, branchées depuis 3 mois, et le miracle fut. L’investissement sera rentabilisé en 11 ans : puisqu’il n’y a pas assez de messe pour utiliser l’énergie produite, l’électricité est revendue à EDF et bénéficie à la commune. Nous grimpons au-dessus des voutes de l’édifice à 13h pile et sommes ironiquement sonnés par les cloches.
14h30. Après quelques problèmes mécaniques, nous arrivons à Châteauvillain, une des cinq petites cités de caractère de Haute-Marne. Nous sommes invités au camp artistique Simone par Nadine Dépont et Anne-Laure Lemaire, la directrice artistique qui a initié le projet il y a 6 ans. Anne-Laure nous fait visiter le site du Chameau, que la Communauté de communes à racheté suite à sa fermeture. Elle a ensuite loué des locaux à des entreprises et à Simone. Initié au départ en vendant des vêtements à 2€, le lieu est devenu un tiers lieu reconnu. 70 structures ou personnes (artisans, artistes, etc.) ont réalisé une partie de leur chiffre d’affaires grâce à Simone en 2019. Simone c’est, entre autres, une coopérative d’activités et d’emplois (CAE), de la vente de livres, de paniers de légumes, initiation à la musique les mercredis après-midis, épicerie, théâtre, résidence d’artistes, café associatif, des expositions, des concerts, etc. Le potentiel ici est énorme, tant les rêves et les possibles ne font qu’un. Cela semble sans fin, il y a 1000 possibilités, le réel se charge d’orienter les priorités. Les Simone ne partent pas dans tous les sens, mais démultiplient les activités afin de fédérer un maximum d’habitants autour de l’art en le désacralisant. C’est aussi la création de liens entre des gens différents qui importe à Anne-Laure car « c’est trop facile d’être d’accord avec des gens qui pensent comme nous ».
15h. N’ayant pas pu manger auparavant, Nadine prend pitié de nous et nous réchauffe une pizza.
16h30. Nous passons à la brocante de Jannot, installée elle aussi dans les anciens locaux du Chameau.
16h50. Nadine nous emmène à la tour de l’auditoire, où la justice était rendue pour les humains… et les animaux. Ainsi, des mulots ont été défendus par des humains à Châteauvillain. Des expositions locales sont présentées ici. Nous échangeons au sujet du Parc National de Forêts avec Julien, animateur local tout comme Louis rencontré plus tôt. De l’animation nature liée au parc pour tout public est mise en place à Auberive et Arc-en-Barrois. Nous apprenons également que Châteauvillain possède à elle seule 65 % de la future réserve intégrale du parc, grande de plus de 3000 hectares (la plus grande de France en milieu forestier). Elle sera un lieu de recherche scientifique afin de laisser la nature vivre sa vie.
17h10. Nous sortons et visitons la commune. Nancy, conseillère municipale, et Francis, adjoint, se joignent à nous pour la visite. Le Parc aux Daims de 272 hectares, créé en 1655 pour la chasse du seigneur, accueille aujourd’hui plus de 100 animaux. Ils auraient paraît-il tendance à s’échapper pour manger dans les potagers des élus. Chateauvillain, comme son nom l’indique, possédait un château. Auparavant, le donjon de Châteauvillain était le deuxième plus haut donjon octogonale de France avec 45 mètres de haut. 56 tours rapprochées gardaient la cité. Une vingtaine sont encore visibles ou perceptibles. Un pigeonnier est lui aussi encore visible ; il a été le deuxième plus gros de France et les 3 000 pigeons servaient à récolter de la fiente pour faire de l’engrais. Le château fut démonté en 1804, ses pierres sont encore visibles dans les murs de certaines habitations.
Nous avions vu lors de nos précédentes étapes que Chassigny ou Langres pouvaient être des centres du monde. Et bien, Châteauvillain également. En effet, tous les rois européens descendent des seigneurs de Châteauvillain. On retrouve leurs héritiers sur les trônes de Norvège, Luxembourg, Belgique, Monaco, Suède, Danemark. Des héritiers de Châteauvillain ont même été couronnés au Brésil et en Russie. La Haute-Marne s’exporte bien. C’est bien le centre du monde. Nous passons à côté d’une résidence où Simone de Beauvoir est venue en vacances, puis du dernier lavoir à parquet flottant d’Europe, datant de 1789 et finissons devant la Maison de la Prévôté, plus ancienne maison de Châteauvillain, bâtie en 1681.
Cette promenade fut interrompue à plusieurs reprises par des panneaux affichés partout dans la ville, dont celui qui sert à illustrer l’article. Une manière bien pensée d’intriguer les passants et les faire sourire !
19h. Nous logeons chez Nadine et son mari Jean-Louis dans leur chambre d’hôtes.
21h. Nous partageons le repas avec le couple autour de boissons locales, difficile de refuser. Nous apprenons quelques faits originaux sur la commune de Châteauvillain, notamment le passage dans le village de Zarafa, girafe offerte par Méhémet Ali, vice-roi d’Égypte, au roi de France Charles X, en 1827. L’animal fut la première girafe aperçue en Europe depuis 400 ans. Nous écoutons également l’histoire de Jean 1er de Châteauvillain, parti combattre lors des croisades avec 300 combattants. Ceux-ci furent capturés par les Sarrasins, eurent les yeux crevés et ils revinrent en France. Le roi de France Saint Louis décida alors de bâtir l’Hôpital des Quinze-Vingt à Paris pour les accueillir, et Jean 1er revint à Châteauvillain, aveugle, pour y passer le restant de ses jours.
Il est 23h26, je n’ai plus la force de vérifier ces anecdotes historiques. Théo, lui, comate. Je vous laisse vérifier ces faits mais j’ai envie d’y croire.
Demain, des arrêts sont prévus à Orges, Vaudrémont et Colombey-les-Deux-Eglises.
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